Les Sources en Haute-Loire 

La destruction des archives de la Légion d'Honneur a fait disparaître la quasi-totalité des sources nationales. Par contre, dans de nombreux départements, les archives départementales conservent des liasses très riches concernant les opérations de recensement et de distribution de la médaille, permettant bien souvent de reconstituer les éléments disparus dans l'incendie de la Commune. 

C'est le cas en Haute-Loire. 

Deux liasses principalement concernent la médaille: elles portent les cotes 1M175 et R5544 

Dans la première liasse, on trouve une liste nominative des 2201 récipiendaires de la médaille. Cette liste paraît exhaustive. Elle se présente comme un cahier relié dans lequel les noms des titulaires sont classés par numéros de brevet, et par communes. Les renseignements sont par contre assez succincts: nom, prénom, commune de domicile en 1857 et le plus souvent régiment d'affectation. Dans la même liasse sont conservés les originaux des brevets non distribués aux candidats décédés entre le recensement et la réception de la médaille. Il y en a un nombre relativement important ( ), peu étonnant au vu de l'âge avancé des anciens combattants concernés. La présence de ces Brevets semble confirmer la non-attribution à titre posthume de la médaille… Dans la même liasse enfin, sont conservés les échanges épistolaires entre le ministère de l'Intérieur et la Préfecture de la Haute-Loire concernant les opérations de recensement et de distribution, ainsi que les circulaires du Préfet aux maires du département. 

Dans la liasse R5544 sont conservés toutes les listes nominatives communales établies par les maires du département lors du recensement des anciens combattants à l'automne de 1857. Ces fiches sont assez disparates, certaines étant beaucoup plus complètes que d'autres. On arrive à y trouver néanmoins des renseignements précieux sur les divers régiments d'affectation, les campagnes et batailles, les blessures éventuelles, parfois même des anecdotes sur des faits d'armes. 

Les renseignements d'Etat-civil ne sont pas toujours présents; aussi nous avons pu compléter certaines de ces fiches grâce à des renseignements fournis par deux autres liasses qui ne concernent pas directement la médaille de Ste Hélène. Il s'agit des cotes R5629 et R5681, qui conservent les listes établies à l'occasion d'un nouveau recensement d'anciens combattants en septembre 1860, destiné à attribuer un secours viager à ceux qui ne l'avaient pas encore eu. Ces listes sont souvent plus complètes que celles de Ste Hélène sur le plan des renseignements d'Etat-civil… par contre un certain nombre de vieillards étant décédés dans l'intervalle, elles ne permettent pas de récupérer les renseignements pour tous les médaillés… 
 
 

Le recensement 

Le Décret est adopté à St Cloud le 12 août 1857, signé de l'empereur et du ministre d'état Achille Fould: 

"Napoléon 
Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français. 
A tous présents et à venir, salut 
Voulons honorer par une distinction spéciale les militaires qui ont combattu sous les drapeaux de la France dans les grandes guerres de 1792 à 1815 
Avons décidé et décrété ce qui suit: 
Art. 1er. Une médaille commémorative est donnée à tous les militaires français et étrangers des armées de terre et de mer qui ont combattu sous nos drapeaux de 1792 à 1815 
Cette médaille sera en bronze et portera d'un coté l'effigie de l'empereur, et de l'autre pour légende : Campagnes de 1792 à 1815. A ses compagnons de gloire sa dernière pensée, 5 mai 1821 
Elle sera portée à la boutonnière, suspendue à un ruban vert et rouge 
Art. 2 . Notre Ministre d'Etat et le grand Chancelier de l'Ordre Impérial de la Légion d'Honneur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution de ce décret. 
Fait au Palais de St Cloud le 12 août 1857 " 

La mise en œuvre du Décret est quasi immédiate. Dès le vendredi 14 août, certains départements commencent les opérations de recensement des anciens militaires. C'est le cas par exemple dans les Vosges, où une circulaire du préfet aux maires est datée de ce jour-là. 

En Haute-Loire, la Préfecture est prévenue par un télégramme, daté du 15 août, un samedi, férié de surcroît, adressé par le Ministre de l'Intérieur au Préfet Emile Paul pour lui demander de lui adresser "sans retard" la liste des anciens militaires susceptibles de recevoir la médaille. Celui-ci attendra néanmoins le mercredi suivant 19 août pour expédier une circulaire aux maires du département leur demandant de lui "… adresser immédiatement un état des militaires de votre commune, qui ayant servi de 1792 à 1815, ont droit à la médaille instituée par décret du 12 de ce mois…". 

La circulaire est distribuée dans les jours suivants, et petit à petit, dans l'anarchie la plus complète en ce qui concerne la nature des renseignements fournis, les listes commencent à arriver. 

Le plus prompt à répondre sera Alphonse Molette de Morangies, Maire de St-Privat-d'Allier, qui date sa liste du 20 août… (on se demande comment il a pu en 24 heures, recevoir la circulaire, faire le tour de sa commune pour recenser les anciens combattants et établir sa liste…) Le 21 août partent les réponses de Beauzac et St-Just-près-Chomelix puis le 22 ce sont Brives-Charensac, Aiguilhe, Ours-Mons, communes voisines du Puy, mais aussi Alleyrac, Fix, St-Didier-La-Seauve, St-Just-Malmont. Dans l'ensemble la quasi-totalité des listes des arrondissements du Puy et Yssingeaux arrivent entre le 22 août et le 1er septembre, suivies de quelques listes complémentaires dans les premiers jours de septembre. La liste du Puy est établie le 29 août, celle d'Yssingeaux le 28. 

Dans l'arrondissement de Brioude par contre, les opérations paraissent beaucoup plus laborieuses. 

Si deux ou trois maires du canton de La-Chaise-Dieu envoient leur liste dans les tous derniers jours d'août, la plupart n'arrivent que dans la première quinzaine de septembre, Brioude attendant même le 24 de ce mois, soit 1 mois après l'autre sous-préfecture. 

Ces premières listes sont extrêmement disparates quant à la nature des renseignements fournis et leur mode de présentation. Souvent, ne sont mentionnés que le nom et le prénom de l'ancien militaire, avec parfois la date de naissance, les dates de service et le régiment d'incorporation. Les listes sont établies sous des formes très variables : il peut s'agir d'un courrier au préfet dans lequel sont mentionnés les anciens militaires de la commune; ce peut être un tableau fait à la main reprenant tous ces renseignements en annexe. Le maire de Sanssac-l'Eglise, lui, ne s'est pas embarrassé de fioritures. Econome de son encre et de son papier, il a simplement griffonné le nom de l'unique candidat sur la circulaire reçue le 19 août qu'il a renvoyée ainsi à la Préfecture… (Il devait être également économe de ses déplacements, car sur la liste définitive établie un mois après, ce sont finalement 6 anciens militaires qu'il aura réussi à trouver dans sa commune…) 

Pendant que ces opérations se mettaient laborieusement en place, on s'impatientait déjà en haut lieu. Dès le 24 août, soit à peine 9 jours après la première dépêche, un deuxième télégramme arrive à la préfecture de la Haute-Loire. Le ministre de l'Intérieur, sur un ton comminatoire, demande au préfet de lui adresser sous trois jours la liste définitive des anciens militaires du département de la Haute-Loire… C'est faire preuve d'un bien singulière méconnaissance de la géographie et des difficultés de communication d'un département encore très rural et retiré en ce milieu du XIXème siècle… 

Emile Paul se permet d'ailleurs de le faire courtoisement remarquer à son ministre dans sa réponse du 28 août, mais hormis cette discrète allusion, il obtempère, et pour accélérer le mouvement, adresse une deuxième circulaire, datée du 25 août, aux commissaires de police et juges de paix des cantons. Les termes en sont pressants : " Par lettre du 19 août dernier j'ai invité les maires à m'adresser sans retard l'état nominatif…. J'ai besoin de ce travail sous trois jours…vous transporter sans délais dans les communes pour recueillir le travail des maires….

Il semble que ces officiers publics aient dans l'ensemble pris à cœur la mission qui leur était confiée. La tournée des communes du canton est le plus souvent effectuée par le commissaire de police, qui vérifie que l'état a été bien envoyé, ou si ça n'est pas le cas le recueille et le fait lui-même. Il en profite parfois pour établir un rapport à son supérieur. Les juges de paix écrivent aux maires de leur canton. Le maire de Chastel s'en étonne d'ailleurs: en envoyant son état le 31 août, il exprime sa surprise de "recevoir en même temps la circulaire du préfet lui demandant la liste des anciens soldats et celle du juge de paix le gourmandant de n'avoir pas encore répondu…!!

Les rapports des juges de paix et des commissaires arrivent le 30 ou le 31 août, accompagnés d'un état récapitulatif par canton des anciens militaires. Les rapports des commissaires ont été conservés pour Saugues, Pradelles, Craponne, Brioude (le 3/9), Monistrol-sur-Loire, Tence (qui en profite pour signaler que ".. la tranquillité est totale dans le canton et je n'ai rien à vous rendre compte.") . On possède également les rapports des juges de paix de Fay-le-froid, Saugues, Craponne, St-Didier-La-Séauve. On peut remarquer que certains font double emploi avec celui du commissaire de police et même triple emploi si la liste du maire avait été envoyée auparavant. 

En cette première quinzaine de septembre, la majorité des communes commence à avoir répondu et une première liste d'anciens soldats prend forme dans les locaux de la préfecture ponote. 

Pourtant, le 9 septembre, une nouvelle lettre du ministre de l'Intérieur va remettre en cause tout le travail accompli au cours du mois précédent… 

Rappelant ses deux premières dépêches télégraphiques des 15 et 24 août, il précise (avec un peu de retard malheureusement…) les renseignements indispensables pour l'obtention de la médaille : grade, régiment, dates d'incorporation et de libération, et surtout, si ces renseignements proviennent de documents officiels ou d'une simple déclaration de l'intéressé… 

La plus grande partie des premières déclarations est donc bonne à jeter… Avec beaucoup de patience, le préfet envoie le 11 septembre une nouvelle circulaire à tous les maires de la circonscription leur demandant de bien vouloir reprendre leur liste en renseignant les éléments demandés par le ministre. Pour tenter d'uniformiser un peu les réponses, il joint en annexe de son courrier un modèle vierge de tableau comprenant des colonnes préimprimées à remplir par le maire. (voir photo) 

Les maires rechignent bien un peu, mais en fin de compte, le délai supplémentaire aura permis à un certain nombre de retardataires de se faire connaître, à certains de retrouver des papiers égarés. On pourra noter aussi quelques disparitions par rapport aux premières listes, vieillards décédés, imposteurs démasqués lorsque la demande de renseignements devient plus précise… 

Les nouvelles listes commencent à revenir à la préfecture dès le 13 septembre. Cette fois le mouvement se fera plus harmonieusement entre les trois arrondissements, et les communes du brivadois enverront leurs listes dans le même temps que le reste du département. Pendant toute la deuxième quinzaine de septembre, les listes communales affluent à la préfecture. Dès le 25 septembre, alors que toutes les communes sont loin d'avoir encore répondu, le préfet envoie au ministère un premier état départemental. Il prend néanmoins soin de signaler les difficultés rencontrées dans sa collecte : les maires qui ne répondent pas ou qui répondent avec retard, qui donnent des renseignements insuffisants, les anciens militaires qui sont âgés, qui on souvent égarés leurs papiers, où qui ne les ont jamais eus car prisonnier de guerre ou rentrés dans la grande anarchie de juin 1815, qui en vieillissant ont oublié les dates de leur incorporation, de leur libération, de leur naissance parfois, les numéros de leur régiment souvent. Cette liste est donc sujette à caution, surtout pour les renseignements recueillis sur déclaration et non sur papiers authentiques. 

Pendant toute la fin du mois de septembre et le début d'octobre, des listes continuent à arriver, maires en retard, mais aussi listes supplémentaires de communes ayant déjà répondu. Le bouche à oreille commence à fonctionner, et d'anciens militaires oubliés de leurs administrateurs n'hésitent pas à se présenter spontanément en mairie pour réclamer la médaille. 

Vers la mi-octobre néanmoins, il semble bien que le gros des opérations de recensement soit terminé en Haute-Loire. 

Les trois jours demandés par le ministre de l'intérieur auront finalement duré deux mois, ce qui dans les conditions de l'époque, paraît tout à fait honorable, et même rapide…